Dialogue avec Edgar Hagen

SOMEONE BESIDE YOU traite de l’expérience de la psychose et de la possibilité de s’en remettre. Pour en témoigner, vous avez choisi pour votre film la forme du « Road Movie », pour quelles raisons ?

Le cinéma est presque toujours un voyage, une façon de visiter un monde intérieur de manière très directe. SOMEONE BESIDE YOU traite de cette question : comment se sent un homme qui perd la raison ? Et quel chemin, quelle méthode lui permettrait de la retrouver ?

La perte de sa raison, de son esprit conduit l’être humain loin de chez lui, le place en marge du système, suscite le rejet. Quand nous sommes sous pression, nous avons de manière générale tous tendance à fuir, à chercher asile en d’autres lieux. La voiture et le voyage servent ici de métaphore à cette fuite.

Comment vous êtes-vous intéressé à la figure et au travail de Edward Podvoll?

J’avais depuis longtemps envie de faire un film qui montrerait qu’il existe des solutions à la folie. C’est en rencontrant Jakob Litschig, un psychiatre ayant eu lui-même une expérience psychotique, que j’ai su le moment venu de faire ce film. Jakob a ceci de très positif qu’il est vraiment capable d’entrer directement et sans peur en contact avec les psychotiques. Je pense qu’on devine déjà ici une partie de la solution : le fait de surmonter la peur est le premier pas vers la résolution de la crise.

Cette rencontre d’avec Jakob m’a conduit à m’intéresser à Podvoll et son engagement systématique en faveur de solutions curatives de la psychose et de la folie. Podvoll cherchait principalement à remplacer la peur par la compassion, une posture évidemment favorisée par sa pratique bouddhiste. J’ai rencontré Podvoll trois mois avant sa mort pour les premières prises de vue. Nous avons tourné le reste deux semaines avant sa disparition. C’est aussi à ce moment que j’ai fait la connaissance de Karen, la première patiente de Podvoll dans le projet Windhorse à Boulder, Colorado. Et j’ai aussi rencontré le psychothérapeute Eric Chapin. Ces rencontres ont donné sa forme ultime au film : les parties tournées en Suisse posent le problème, celles aux Etats-Unis apportant un début de solution

Quel lien entretient ce dernier film avec les précédents?

Il y a selon moi un lien fort entre tous ces films : ils ont tous à voir avec le dépassement des limites humaines, qu’elles soient spirituelles comme dans «Markus Jura Suisse – Le fils prodigue» ou plus physiques comme dans « Zeit der Titanen » qui s’intéresse aux relations d’un groupe d’être humains confrontés aux forces de la nature.

Dans SOMEONE BESIDE YOU j’ai voulu repousser mon horizon un peu plus loin. Je ne cherche plus à faire la biographie détaillée des gens que je filme. Je tente plutôt de décrire les expériences extrêmes qu’ils vivent, aux limites de l’expérience humaine. Evidemment, pour rendre le film possible, j’ai du me rapprocher très près de ces personnages

Le film contient cependant certains éléments fictifs. Etait-ce intentionnel?

Rien n’y est mis en scène mais nous avons, il est vrai, pris certaines décisions en commun afin de pouvoir maîtriser malgré tout ce voyage à-travers des expériences très douloureuses. Cela nous a conduit à faire certains « arrangements » afin de maintenir une certaine confiance avec les protagonistes du film. Il faut savoir que cela émanait entre autres d’une requête des acteurs eux-mêmes. La scène d’ouverture en constitue un bon exemple : elle s’est « montée » de manière totalement spontanée. En même temps tous les acteurs disposaient d’espaces de sécurité qu’ils pouvaient rejoindre en tout temps s’il leur devenait soudain insupportable de devoir se confronter à ces expériences intimes.

Le film se distingue encore des précédents en ce que vous en êtes aussi un acteur important. Pourquoi avoir pris cette décision?

Il y a dans ce voyage aux profondeurs de l’âme une dimension très radicale dont j’ai pris conscience progressivement. La conclusion formelle que j’en ai tirée a été d’apparaître à l’écran, de sortir de l’ombre. En effet, personne n’aurait fait ce voyage si je n’avais été à leurs côtés. C’est ainsi que le film gagne cet aspect fictif et permet au spectateur une certaine identification à travers mon personnage. J’ai vraiment cherché par ce biais à rompre les barrières qui nous séparent de nos abysses intérieures afin de pouvoir emmener le spectateur dans ces contrées très éloignées.

L' entretien avec Edgar Hagen a été enregistré par la journaliste Franziska K. Trefzer